Les perturbateurs endocriniens qui empoisonnent notre vie
De nos jours, on entend parler de plus en plus des perturbateurs endocriniens (PE). Ces derniers dont la définition est encore floue pour bon nombre de personnes continuent à nous empoisonner chaque jour sans qu'on ne se rende compte.
Ces perturbateurs endocriniens, d’origine artificielle ou encore naturelle (hormones naturelles et phytoœstrogènes), sont appelés ainsi parce qu'ils modifient la production et/ou l'action des hormones endogènes (produites par notre organisme), ce qui perturbe notre équilibre hormonal et entraîne par conséquent de sérieux problèmes de santé (comme l’infertilité, les cancers, le diabète, l’obésité etc.)
Différentes études épidémiologiques ont montré au cours des 50 dernières années une augmentation de l'incidence des cancers des testicules, des malformations congénitales de l'appareil reproducteur masculin associée à une détérioration probable de la production spermatique dans l'espèce humaine. Les chercheurs ont établi un lien entre l'exposition aux perturbateurs endocriniens et ces pathologies. D’après ces études, l'exposition à ces composés chimiques présents dans notre environnement quotidien serait à l'origine de ces perturbations [1]. Selon une étude publiée par la revue Human Reproduction, la concentration en spermatozoïdes du sperme a baissé de 52,4 % entre 1973 et 2011 chez les hommes occidentaux tandis que la quantité totale de sperme a chuté de 59,3%, et cette baisse de fertilité masculine pourrait être lié aux perturbateurs endocriniens [2]. Cela nous amène à penser que ces micropolluants menacent l’extinction de l’espèce humaine.
Les effets reprotoxiques de perturbateurs hormonaux ne sont pas restreints au sexe masculin. Plusieurs études épidémiologiques ont permis d’établir une corrélation entre l’exposition aux perturbateurs endocriniens et la survenue de pathologies gonadiques chez les femmes, notamment (i) une sur-incidence de puberté précoce chez les jeunes filles, (ii) une plus grande fréquence du syndrome des ovaires poly kystiques et de l’endométriose à l’âge adulte, et (iii) dans certains cas une augmentation d’incidence du cancer du sein [3].
Certains scientifiques ont suspecté l'implication des perturbateurs endocriniens dans le développement des pathologies métaboliques, le diabète type 2 et l'obésité [4]. Des études épidémiologiques ont mis en évidence des concentrations plus élevées de perturbateurs endocriniens chez les patients obèses et/ou diabétiques de type 2, ce qui confirme la participation de ces substances chimiques dans l’épidémie d’obésité et de diabète de type 2 [5].
Les perturbateurs hormonaux n’agissent pas comme des substances toxiques classiques. Ainsi, on ne peut pas appliquer le principe fondamental de la toxicologie selon lequel la dose fait le poison, et que, en dessous d’un certain seuil, il n’y a aucun effet toxique. L’Endocrine Society, la société savante internationale regroupant les endocrinologues, a publié en 2015 un article où elle précise qu'il est difficile ou impossible de définir les seuils d'action d'un perturbateur endocrinien en raison du fonctionnement particulier du système hormonal [6]. C’est à dire fixer une dose seuil pour un perturbateur endocrinien en-deçà de laquelle aucun effet toxique n’est observable, n’est pas possible. En fait, ces perturbateurs peuvent agir à très faibles doses voir même par simple présence. «On serait alors dans la logique du tout ou rien, le perturbateur agissant comme une clef dans une serrure: sa seule présence suffirait pour l'actionner et déclencher la perturbation» souligne le professeur Barbier Gilbert, l’ancien sénateur [7]. « Selon l’Endocrine Society, avec les perturbateurs endocriniens, ce n’est pas la dose qui fait le poison mais plutôt la période d’exposition», explique l’association Générations futures dans son rapport [8]. En d’autres termes, on n’observe pas les mêmes effets lorsque l’exposition aux perturbateurs a lieu pendant la période intra-utérine, avant ou après la puberté [9]. C’est pendant la grossesse que le risque est plus élevé et plus important. En revanche, l’exposition après la naissance à ces perturbateurs n’est pas sans risques surtout pendant les périodes critiques de développement (la petite enfance, la puberté). C’est pourquoi il faut limiter au maximum l’exposition humaine à ces micropolluants notamment dans les fenêtres de vulnérabilité qui sont la période périnatale et pré-conceptionnelle, la petite enfance, la puberté et chez la population en âge de procréer de manière générale [10].
Outre la période d’exposition et l’effet à faible dose, les scientifiques ont identifié aussi quatre autres points principaux caractéristiques du mode d’action des PE:
1- Latence entre exposition et apparition des effets : Les effets délétères des PE peuvent se manifester longtemps après que l’exposition a eu lieu. Par exemple, l’exposition à ces substances pendant la vie intra-utérine (période très sensible de développement) peut entraîner de profonds changements physiologiques et fonctionnels qui peuvent se manifester cliniquement dès la naissance tout comme se développer bien plus tard à l’âge adulte. Ces effets à retardement ont été observés pendant les années 70 chez les descendants des femmes ayant pris du distilbène, un œstrogène de synthèse, prescrit à l'époque pour prévenir les fausses couches durant la grossesse. Ces expositions maternelles se sont traduites chez les filles par des anomalies de l’appareil génital, des problèmes de fertilité et des cancers du vagin et du col de l’utérus tandis que chez les garçons on observe des atteintes de l’appareil uro-génital [11].
2- Effets Trans générationnels et modifications épigénétiques : L’Endocrine Society estime que « les effets des PE peuvent être transmis a posteriori aux futures générations à travers les modifications épigénétiques sur les cellules germinales ». Concernant ce mystérieux mot « l’épigénétique » bien entendu différent de la génétique, les scientifiques l’ont défini comme étant l’ensemble des changements d’activité des gènes qui sont transmis au fil des divisions cellulaires ou au fil des générations sans faire appel à des anomalies de séquence de l’ADN [12]. Les perturbateurs endocriniens sont connus pour causer des anomalies épigénétique [12]. Des données récentes ont révélé le rôle prépondérant joué par ces modifications épigénétiques dans le déclenchement et la progression de nombreuses maladies, en particulier des cancers [13]. A titre d’exemple, il a été montré que l’exposition au bisphénol A de rates pendant la gestation induisait une baisse de la fertilité et de la qualité du sperme sur la génération des fils, des petits-fils et des arrière petits-fils, bien que ceux-ci n’aient pas été eux-mêmes exposés après leur naissance [14].
3 - L’effet cocktail: Nous sommes exposés à de multiples molécules chimiques présentes dans notre environnement, dans notre alimentation et dans les produits d’usage courant. La combinaison de ces molécules pourrait exacerber leur toxicité suite à leur interaction et induire un effet néfaste sur l’organisme. C’est ce qu’on appelle l’effet cocktail.
Une étude menée par des chercheurs de l’Inserm, publiés dans la revue Environmental Health Perspectives, montre pour la première fois chez les humains que l’exposition simultanée à des molécules potentiellement perturbatrices endocriniennes exacerbe les effets observés lorsque l’exposition est réalisée avec les molécules indépendamment les unes des autres. Les chercheurs ont sélectionné onze molécules chimiques (les bisphénols A et S, certains médicaments et pesticides) identifiées comme perturbateurs endocriniens, particulièrement comme anti-androgène (inhibant la production de testostérone). Ils ont ensuite testé les effets combinés de mélanges différents de ces molécules sur le testicule fœtal humain [15].
4 - l’effet cumulatif : Vue le nombre important de perturbateurs endocriniens auxquels nous sommes confrontés chaque jours, l’exposition chronique à une molécule donnée à faible dose peut devenir nocive pour l’organisme. Citons l’exemple de Triclosan utilisé comme antiseptique et conservateur dans de nombreux produits d’usage quotidien (savons, déodorants, dentifrices, bains de bouche, détergents, médicaments, articles textiles, plastiques, peintures…). Il a été montré qu’une exposition continue du corps humain au Triclosan via ces produits mène à sa diffusion et à sa bio-accumulation. Plusieurs études utilisant l’expérimentation animale suggèrent que cette substance pourrait perturber l’équilibre hormonale chez l’être humain suite à sa bio-accumulation [16].
L’évaluation des risques liés aux perturbateurs endocriniens est rendue difficile en raison de la particularité et la complexité de leurs modes et leurs mécanismes d’action. Les effets nocifs des perturbateurs hormonaux ne se limitent pas aux pathologies citées plus haut. La liste est certes plus longue étant donné que ces polluants interfèrent avec le système hormonal en mimant, bloquant ou modifiant l'action de nos hormones, alors que ces dernières régulent de nombreuses fonctions de notre organisme tels que la reproduction, la fonction sexuelle, la croissance, le métabolisme, le sommeil, l'humeur... C'est pourquoi les études aboutissent à une même conclusion que les perturbateurs endocriniens constituent un risque réel pour la santé humaine. Malgré ce danger imminent, l’Union européenne tarde à mettre en place une réglementation spécifique concernant les perturbateurs endocriniens, sous la pression des lobbys de l’industrie chimique. C’est à nous, consommateurs, d’agir en boycottant autant que possible les produits de l’industrie chimique et en se tournant vers le bio et le fait maison. C’est tout simplement parce que nos hormones sont au service de notre organisme. Nous devons les protéger contre ces polluants qui menacent notre équilibre, notre bien être… voir même la survie de l’espèce humaine.
[1] C. Mauduit, A. Florin, S. Amara, A. Bozec, et al. Effets à long terme des perturbateurs endocriniens environnementaux sur la fertilité masculine. Gynécologie Obstétrique & Fertilité Volume 34, n° 10 pages 978-984, octobre 2006.
[2] Levine H., Jørgensen N., Martino-Andrade A., Mendiola J., et al. Temporal trends in sperm count: a systematic review and meta-regression analysis. Human Reproduction Update, Volume 23, Issue 6, November-December 2017, Pages 646–659. En ligne : https://doi.org/10.1093/humupd/dmx022
[3] Chevalier N., Brucker-Davis F., Hieronimus S., Paul-Bellon R. et al. Effets gonadiques des perturbateurs endocriniens. Annales d'Endocrinologie Volume 78, Issue 4, September 2017, Pages 204-205.
[4] Barouki R. Perturbateurs endocriniens et maladies métaboliques. Médecine & Longévité Volume 3, Issue 2, June 2011, Pages 61-66.
[5] Chevalier N. Obésité, diabète de type 2 et perturbateurs endocriniens. La Presse Médicale Volume 45, n° 1 pages 88-97, janvier 2016.
[6] Gore A. C., Chappell V.A., Fenton S. E., Flaws J. A. et al. The Endocrine Society's Second Scientific Statement on Endocrine-Disrupting Chemicals. Endocrine Reviews, Volume 36, Issue 6, 1 December 2015, Pages E1–E150. En ligne: https://doi.org/10.1210/er.2015-1010
[7] http://www.senat.fr/rap/r10-765/r10-76517.html
[8] https://www.generations-futures.fr/wp-content/uploads/2018/09/rapport-exppert-10-efsa-residus-pe-alimentation-310818.pdf
[9] https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/perturbateurs-endocriniens
[10] Jacquey A. Evaluation des connaissances des femmes en âge de procréer sur les perturbateurs endocriniens. Thèse Med: Université de Nice-Sophia Antipolis. 2016 dumas-01427239. En ligne: https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01427239/document .
[11] https://www.ansm.sante.fr/var/ansm_site/storage/original/application/a2abb4db0658b1c97ade1be777f219ce.pdf
[12] Sunyach C., Orsiere T., Sari-Minodier I. et Perrin J. Des effets épigénétiques (transgénérationnels ou non) au nouveau concept d’épi-génotoxicité. Archives des Maladies Professionnelles et de l'Environnement, 2018-05-01, Volume 79, Numéro 3, Pages 311-311. En ligne: https://doi.org/10.1016/j.admp.2018.03.216
[13] Deltour S., Chopin V. et Leprince D. Modifications épigénétiques et cancer. Revue M/S:médecine sciences Volume 21, numéro 4, avril 2005, pages 405-411. En ligne: https://id.erudit.org/iderudit/010775ar
[14] Salian S., Doshi T. et Vanage G. Perinatal exposure of rats to Bisphenol A
affects fertility of male offspring-An overview. Reprod Toxicol., 2010.
[15] https://presse.inserm.fr/alerte-sur-les-melanges-de-perturbateurs-endocriniens-pendant-la-grossesse/29138/
[16] Duret M. Effets perturbateurs endocriniens du Triclosan chez l’être humain : Revue systématique de la littérature. Thèse Med: Université de Bordeaux. 2017 dumas 01561760 . En ligne : https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01561760/document
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