Les perturbateurs endocriniens dans nos cosmétiques

Les perturbateurs endocriniens dans nos cosmétiques


Depuis longtemps, nous utilisons des cosmétiques (maquillages, crèmes, shampooing, savons, dentifrices...) au quotidien sans prendre en compte la longue liste d’ingrédients chimiques (souvent écrite en caractères minuscules) qui entrent dans la composition de ces produits. De nombreux scientifiques alertent que ces cosmétiques chimiques sont susceptibles de contenir des perturbateurs endocriniens. D’après l’UFC-Que Choisir (Union fédérale des consommateurs-Que Choisir), près d’un produit cosmétique sur trois contient des perturbateurs endocriniens, des substances toxiques, irritantes ou fortement allergisantes [1].

Après avoir énuméré la liste des ingrédients soupçonnés d’être des perturbateurs endocriniens dans mon article précédent, je focalise ici sur le risque sanitaire lié à l’utilisation des produits renfermant ces molécules indésirables.

Les substances potentiellement perturbatrices endocriniennes dans les cosmétiques sont:

- Le triclosan est un antiseptique, un désinfectant mais aussi un conservateur largement utilisé dans les produits d'hygiène et cosmétiques notamment les savons, les gels douches, les déodorants, détergents, les dentifrices, bain de bouche. Il est considéré par les scientifiques comme perturbateur endocrinien parce qu'il interfère avec les œstrogènes, les androgènes et la thyroxine (hormone thyroïdienne). Des études expérimentales in vitro sur cellules humaines laissent supposer que le triclosan puisse avoir une incidence sur le développement des cancers hormono-dépendants via son mimétisme avec les œstrogènes (cancer de l’ovaire, cancer du sein) [2]. En revanche, les études épidémiologiques menées sur les fonctions thyroïdiennes et de reproduction masculine n’ont pas rapporté d’effet néfaste du Triclosan, mais restent limitées et insuffisantes pour conclure [2].

D’après ASEF (l’Association Santé Environnement France), plus de 200 scientifiques de 29 pays ont lancé, en 2017, un appel pour bannir le triclosan et un autre antimicrobien de la même famille: triclocarban [3]. En effet, on retrouve ces polluants dans les rivières et les lacs, car les systèmes de traitement des eaux usées ne les éliminent que partiellement [4]. C'est pourquoi ils estiment que « ces substances sont des perturbateurs endocriniens persistants et bio accumulatifs toxiques pour les milieux aquatiques et les organismes qui y vivent » [3].

- les parabènes sont également des conservateurs très utilisés dans les produits cosmétiques mais aussi dans les produits pharmaceutiques et en agroalimentaire. Ils sont suspectés de perturber le système endocrinien en se comportant dans le corps comme des œstrogènes de par leur capacité à se lier aux récepteurs œstrogéniques et par conséquent d'être impliqués dans l'accroissement du risque des cancers hormono-dépendants (cancer du sein) [5]. Plusieurs études in vivo ont mis en évidence des effets œstrogéniques des parabènes [6].

- Les silicones : sont des composés chimiques, utilisés comme agent de texture. On les rencontre très souvent dans shampoings, crèmes et déodorants. On peut les repérer dans la liste des ingrédients sous ses noms: cyclotetrasiloxane (D4), cyclopentasiloxane (D5), dimethicone, cyclomethicone et tout nom dérivé de siloxane ou methicone.

Des scientifiques révèlent des effets perturbateurs endocriniens de cyclotetrasiloxane (D4). Ce dernier est suspecté d’être un perturbateur endocrinien dans le rapport DHI (Danish Hydraulic Institute). Un rapport daté de mai 2015 a été transmis à la DGS (la direction générale de la santé), puis à la Commission européenne [7]. Il est même classé comme toxique pour la reproduction (susceptible de nuire à la fertilité) par le Règlement de la Commission Européenne [8].

Selon le CSSC (Comité scientifique pour la sécurité des consommateurs) et ses prédécesseurs, le comité scientifique des produits de consommation et le comité scientifique des produits cosmétiques et des produits non alimentaires destinés aux consommateurs, le cyclomethicone compte parmi les ingrédients cosmétiques suspectés de présenter des propriétés perturbant le système endocrinien [9].

Cela ne signifie pas que les autres types de silicones utilisées dans l’industrie cosmétique sont anodins en raison d’un manque d’études scientifiques prouvant l’absence d’effets de perturbation endocrinienne) et par conséquent leur innocuités (les silicones sont interdits dans les cosmétiques labellisés bio).

- Les phtalates: sont des composés chimiques principalement utilisés comme plastifiant dans les matières plastiques, mais aussi incorporés comme fixateurs dans de nombreux produits cosmétiques (vernis à ongles, laques pour cheveux, parfums, déodorants, shampoing, savons…).

Une étude américaine récente, publiée en décembre 2018, dans la revue Human Reproduction suggère une association entre une puberté précoce chez les filles et l’exposition in utero à plusieurs substances suspectées d’altérer l’équilibre hormonal. Les chercheurs ont mesuré les concentrations de 9 molécules (3 phtalates, 2 parabènes, le triclosan et 3 autres phénols) dans les urines collectées des 338 femmes durant leurs grossesses et de leurs enfants à l’âge de 9 ans. Ensuite, ces enfants ont été suivis tous les 9 mois jusqu’à l’âge de 13 ans. Parmi ces molécules, les substances présentant les corrélations plus marquées avec la survenue d’une puberté précoce chez les petites filles sont: le triclosan, le 2,4-dichlorophénol, le phthalate de monoéthyle [10]. Ce dernier est principalement le produit de la dégradation d’un phtalate souvent utilisé dans les cosmétiques qui est le diethylphtalate (DEP).

- Butylated hydroxyanisole (BHA): est un antioxydant de synthèse, employé comme conservateur dans les produits cosmétiques afin de protéger les lipides du rancissement. Il est aussi utilisé dans certains produits alimentaires, certains médicaments et compléments alimentaires. Selon le centre international de recherche sur le cancer (CIRC), le BHA est classé parmi les substances probablement cancérigènes. De plus, il a des effets sur la reproduction, la thyroïde chez les rongeurs et un effet de perturbateur endocrinien in vitro dont la pertinence reste à valider chez l’homme [7].

- Butylated hydroxytoluene (BHT): est également utilisé en tant qu’antioxydant dans les produits cosmétiques. Il est souvent employé pour substituer le BHA, substance potentiellement préoccupante en raison de son profil toxicologique. Pourtant, lui aussi est pointé du doigt par les scientifiques. Des études montrent que le BHT a une action sur la thyroïde du rat avec des modifications de la concentration des hormones thyroïdiennes, une hyperplasie et des tumeurs de la thyroïde [11].

- Les alkylphénols et les alkylphénols éthoxylés : sont des substances chimiques largement utilisés dans l’industrie (cosmétiques, textiles, produits de nettoyage, peintures, plastiques…) comme détergents, émulsifiants, agents mouillants, stabilisant, dispersant. Ils figurent sur les étiquettes sous les noms suivants: n-nonylphénols, nonylphénols polyéthoxylates, n-nonoxynol (un composé de nonylphénol, aussi identifié comme : nonaethylene glycol nonylphenol ether; PEG-9 nonylphenol ether...), octylphénols ou tout nom dérivé de nonylphénol.

Des études ont démontré le potentiel toxicologique des alkylphénols principalement en tant que perturbateurs endocriniens chez l’animal mais également chez l’Homme [12]. Le nonylphénol et ses dérivés éthoxylés (NP-NPE) ont été reconnus comme étant des perturbateurs endocriniens ayant des effets néfastes sur les écosystèmes aquatiques [13].

- Résorcinol : est une substance chimique utilisée dans la formulation de produits cosmétiques, essentiellement de colorants capillaires. Même les colorations dites végétales ne garantissent pas son absence.

En plus de son puissant pouvoir sensibilisant, le résorcinol est évalué par le Comité scientifique pour la sécurité des consommateurs (CSSC) et ses prédécesseurs, le comité scientifique des produits de consommation et le comité scientifique des produits cosmétiques et des produits non alimentaires destinés aux consommateurs, parmi les ingrédients cosmétiques suspectés de présenter des propriétés perturbant le système endocrinien [9].

- Lilial : est une fragrance synthétique utilisée comme agent parfumant dans de nombreux produits cosmétiques et produits ménagers. Cette molécule dégage une senteur florale forte et fraîche évoquant le muguet. C’est sous son nom de butylphenyl methylpropional que l’on pourra l’identifier sur la liste des ingrédients.

Une étude in vitro, au Royaume-Uni, a mis en évidence une très faible activité œstrogénique de butylphenyl methylpropional (BMHCA) [14]. Ce résultat à lui seul ne permet pas de lui attribuer le caractère de perturbateur endocrinien, mais ne prouve pas non plus le contraire. Des nouvelles investigations seront nécessaires pour écarter ou confirmer cette suspicion. Également, butylphenyl methylpropional est accusée d’autres effets néfastes pour la santé. En 2012, le Lilial a été listé dans les allergènes de contact chez l’Homme avec entre 11 et 100 réactions positives reportées [15].

En 2017, le CSSC a réévalué le BMHCA pour arriver aux mêmes conclusions avancées en 2015. Elle n’a pas conduit d’évaluation de risques sanitaires du fait de potentiels effets génotoxiques qui ne peuvent pas être exclus [15].

- Les filtres ultraviolets: sont des substances qui entrent notamment dans la formulation des produits de protection solaire, mais qui sont aussi présents dans certains shampoing, vernis à ongles, crèmes de jour... Ils se divisent en deux catégories de molécules: les filtres chimiques (ou organiques) et les filtres UV minéraux (le dioxyde de titane et le dioxyde de zinc.). Seuls les premiers sont pointés du doigt. (Voir articles : La vérité sur les perturbateurs endocriniens dans les produits de protection solaires).

Comment peut-on croire que ces cosmétiques chimiques peuvent offrir à notre peau, à nos muqueuses et à nos cheveux protection, soin et beauté? Même si on apprécie ces prétendues vertus dans l’immédiat ou à court terme, l’impact des perturbateurs endocriniens cachés dans ces produits sur la santé devrait sûrement nous effrayer.


[1] Décompte réalisé en avril 2019 à partir des 170 000 produits cosmétiques analysés dans la base de données de l’application UFC-Que Choisir « QuelCosmetic ».

[2] Duret M. Effets perturbateurs endocriniens du Triclosan chez l’être humain : revue systématique de la littérature. Thèse Chir dent: Université de Bordeaux. 2017 dumas-01561760f. En ligne : https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01561760/document

[3] http://www.asef-asso.fr/production/le-triclosan-ou-en-est-on-la-synthese-de-lasef/

[4] GEARA‐MATTA D. Flux et sources des parabènes, du triclosan et du triclocarban en milieux urbains denses : comparaison entre Paris et Beyrouth. Thèse de doctorat: Université Paris‐Est. 2012. En ligne : file:///C:/Users/samio/Downloads/TH2012PEST1129_complete.pdf

[5] Darbre P. D., Aljarrah A., Miller W. R., Coldham N . G. et al. Concentrations of parabens in human breast tumours. Journal of Applied Toxicology, 2004, 24, 5-13. En ligne: https://www.dr-baumann.ca/science/Concentrations%20of%20Parabens%20in%20Human%20Breast.pdf

[6] http://www.ipubli.inserm.fr/bitstream/handle/10608/222/Chapitre_59.html

[7] https://www.generations-futures.fr/wp-content/uploads/2018/02/rapport-inspections-generales-snpe.pdf

[8]https://www.ansm.sante.fr/var/ansm_site/storage/original/application/5ffe30fa825c4a0c5ebcf9563072f106.pdf

[9] https://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2018/FR/COM-2018-739-F1-FR-MAIN-PART-1.PDF

[10] Harley K.G., Berger K.P., Kogut K., Parra K. et al. Association of phthalates, parabens and phenols found in personal care products with pubertal timing in girls and boys. Human Reproduction, Volume 34, Issue 1, January 2019, 109–117,

En ligne: https://doi.org/10.1093/humrep/dey337

[11] https://www.anses.fr/fr/system/files/REACH2016RE0001.pdf

[12] https://www.ineris.fr/sites/ineris.fr/files/contribution/Documents/alkylsphenols.pdf

[13] Gauthier K., Berryman D., Dubreuil G., Sarrasin B. et al. Le nonylphénol et ses dérivés éthoxylés. Une réussite dans leur élimination du milieu récepteur. Vecteur Environnement, Janvier 2013. En ligne: http://www.environnement.gouv.qc.ca/eau/eco_aqua/nonylphenol/article-nonylphenol-derives-ethoxyles201301.pdf

[14] Charles A.K., Darbre P.D. Oestrogenic activity of benzyl salicylate, benzyl benzoate and butylphenylmethylpropional (Lilial) in MCF7 human breast cancer cells in vitro. Journal of Applied Toxicology, 2009, 29(5), 422-34. En ligne:

https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/19338011

[15] https://www.anses.fr/fr/system/files/CONSO2016SA0108Ra.pdf













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