Les phyto-oestrogènes de soja sont -ils vraiment des perturbateurs endocriniens?

 Les phyto-oestrogènes de soja sont -ils vraiment des perturbateurs endocriniens?


Les phyto-oestrogènes (PO) sont des composés d’origine végétale qui présentent une similitude plus ou moins grande avec l’œstradiol, la principale hormone sexuelle de la femme, d’où leurs capacités de se lier aux récepteurs des œstrogènes. Ils sont ainsi reconnus par les scientifiques comme perturbateurs endocriniens. La présence de telles substances à effets œstrogéniques, dans les plantes a été comprise dans les années 1940 lorsque des problèmes de fertilité ont été observés, en Australie, dans des troupeaux de moutons situés dans des prairies riches en trèfles et en luzerne, en raison des isoflavones contenus dans ces plantes [1].

Les PO sont classés en trois catégories principales: les isoflavones, les lignanes et les coumestanes. On les retrouve dans les légumineuses (surtout dans les fèves de soja, particulièrement très riches en isoflavones, les lentilles, les pois, les haricots, les fèves...), dans les céréales, essentiellement dans les graines de lin (présentant une teneur élevée en lignane), de sésame, de seigle et à très faibles concentrations dans les fruits et les légumes. En outre, de nombreux compléments alimentaires sont préparés à partir d’extraits de soja mais aussi de luzerne, de trèfle ou de houblon.

Les scientifiques se sont intéressés particulièrement à l’étude d’isoflavones en raison de l’augmentation très significative de la consommation mondiale de soja et de ses produits dérivés. Toutefois, ces phyto-œstrogènes sont sujets de controverse puisque les études divergent quant à leurs effets sur la santé. À la suite d’observations épidémiologiques sur des populations asiatiques consommatrices de soja, certaines études, essentiellement in vitro, ont montré que divers phyto-œstrogènes présentaient des propriétés biologiques suggérant une activité anticancéreuse, antioxydante, hypolipémiante et protectrice vis-à-vis des maladies cardiovasculaires et de l’ostéoporose [2]. En revanche, ces données restent peu concluantes et limitées, étant données que d’autres études vont jusqu’à prouver le contraire. En fait, divers travaux réalisés sur les effets des isoflavones dans la réduction des désagréments de la ménopause (bouffées de chaleur, troubles de concentration...) ou encore dans la prévention des maladies associées tels que l’ostéoporose et le cancer du sein ne mettent pas en évidence d’effets clairs (études mentionnées dans la thèse de doctorat de Charlotte Carreau intitulée « Propriétés œstrogéniques des phyto-œstrogènes dans une lignée de cancer du sein ») [3]. En particulier, l’auteur de cette thèse démontre à travers les résultats de son étude des effets pro-œstrogéniques des isoflavones sur la prolifération des cellules MCF-7, lignée cellulaire humaine de cancer du sein. Ainsi, elle conclue que ces données suggèrent fortement qu’une alimentation riche en isoflavones n’est pas recommandée dans l’optique de réduire les risques de cancer du sein et que ces molécules doivent être considérées avec prudence. Les résultats de son étude ont été publiés en 2009 dans le journal Molecular Nutrition and Food Research [4]. De plus, l’exposition aux isoflavones de soja in utéro ou périnatale comporte un haut risque de malformation de l’appareil reproducteur chez les deux sexes. En fait, il a été observé chez l’animal pendant la gestation et la lactation des tumeurs de l’endomètre et des anomalies morphologiques des bougeons terminaux dans la glande mammaire ou des testicules et du tractus génital. Ces anomalies peuvent induire chez l’animal une diminution de la fertilité et une augmentation du risque de cancer du testicule et de la glande mammaire [5]. L’AFSSA (l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments, actuellement ANSES) précise, dans son rapport de 2005, que les conséquences à long terme de la consommation de phyto-œstrogènes chez les femmes enceintes, chez l’enfant de moins de 3 ans et chez les femmes ayant un antécédent personnel ou familial de cancer du sein sont encore mal connues. Elle recommande de ne pas dépasser 1 mg d’isoflavones/ kg poids corporel/ jour et déconseille leurs consommations aux populations à risque [6]. En 2016, l’ANSES rappelle, dans le cadre de l’étude de l’alimentation totale infantile, que le risque ne peut pas être écarté pour les enfants consommateurs de produits à base de soja qui contiennent de fortes quantités d’isoflavones et qu’il convient donc de limiter la consommation de produits à base de soja pour les enfants de moins de 3 ans [7].

Même si la plupart des études d’observation épidémiologique suggèrent que la consommation de produits à base de soja dans les populations asiatiques (10 à 40 mg d'isoflavones par jour) peut être associée à une réduction du risque de développement du cancer du sein [8], cette association n’est pas constatée pour les femmes occidentales. Au contraire, pour les femmes européennes, il existerait une corrélation positive entre les taux sériques urinaires en génistéine (une des isoflavones majeurs du soja) et une plus forte incidence de cancers du sein [9]. Selon les scientifiques, cet effet préventif des isoflavones observé en Asie et pas en occident pourrait s’expliquer par le fait d’une consommation de soja modérée et continue, dès l’enfance chez les asiatiques [10] contre une consommation de soja en quantité importante et tardive dans la vie, la plupart du temps, chez les occidentaux [5]. Ces différences pourraient s’expliquer aussi par l’adaptabilité du métabolisme intestinal des asiatiques en réduisant l’absorption d’isoflavones et ou en accélérant leur élimination [11]. Vous pouvez consulter la lettre scientifique de l’institut français pour la nutrition pour en savoir davantage sur les différences entre les pratiques alimentaires asiatiques et occidentales en ce qui concerne la consommation de soja [12].

En résumé, les allégations relatives à d’éventuels bénéfices de la consommation de soja, aliment très riche en isoflavones, sur la santé sont insuffisamment fondées. Le risque de déclenchement ou d’aggravation de cancers œstrogéno-dépendants, notamment le cancer du sein n’est pas connu de manière satisfaisante. Des données scientifiques confirmant l’innocuité des isoflavones à long terme manquent encore. Compte tenu de l’état actuel des connaissances et la controverse au sujet des cancers œstrogéno-dépendants, intégrer le soja dans notre régime alimentaire me semble complètement aberrant. Comment peut-on penser aux prétendues vertus de soja et de ses isoflavones alors que ses derniers sont des perturbateurs endocriniens et leur lien avec le risque de cancer n’est pas écarté? Pourquoi on se focalise sur les bienfaits du soja très controversés en raison de sa teneur élevée en isoflavones, alors qu’une alimentation variée riche en céréales, en légumineuses, en fruits et légumes permet d’apporter la juste dose de phyto-œstrogènes dont le corps a besoin?


[1] Bennetts H.W., Underwood E.J., Shier F.L. A specific breeding problem of sheep on subterranean clover pastures in Western Austria. Aust Vet J., 1946, 22(1): 2-12.

[2] Savouret J.F. Les phytoestrogènes et leurs perspectives. John Libbey Eurotext, 2005, Volume 7, issue 4, pages: 293-303.

[3] Carreau C. Propriétés œstrogéniques des phyto-œstrogènes dans une lignée de cancer du sein. Implication des domaines de transactivation du récepteur aux œstrogènes alpha. Thèse de doctorat: Université Bordeaux 1, 2008. En ligne: http://grenet.drimm.u-bordeaux1.fr/pdf/2008/CARREAU_CHARLOTTE_2008.pdf

[4] Carreau C., Flouriot G., Bennetau-Pelissero C., Potier M. Respective contribution exerted by AF-1 and AF-2 transactivation functions in estrogen receptor alpha induced transcriptional activity by isoflavones and equol: consequence on breast cancer cell proliferation. Mol Nutr Food Res., 2009, 53(5):652-8.

[5] Labat E. Le soja: influence de sa consommation sur la santé humaine et conséquences de l’expansion de sa culture au niveau mondial. Thèse pharm: Université Toulouse III Sabatier, 2013. En ligne: http://thesesante.ups-tlse.fr/298/1/2013TOU32095.pdf

[6] https://www.anses.fr/fr/system/files/NUT2005sa0172.pdf

[7] https://www.anses.fr/fr/system/files/ERCA2010SA0317Ra.pdf

[8] Wu A. H., Lee E. et Vigen C. Soy Isoflavones and Breast Cancer. American Society of Clinical Oncology, 2013, 102-106. En ligne: http://orthomolecular.org/library/jom/2002/pdf/2002-v17n02-p069.pdf

[9] Ward H., Chapelais G., Kuhnle G.G., Luben R. et al. European Prospective into Cancer-Norfolk cohort. Breast cancer risk in relation to urinary and serum biomarkers of phytoestrogen exposure in the European Prospective into Cancer-Norfolk cohort study. Breast Cancer Res, 2008; 10(2):R32.

[10] Lee S. A., Shu X. O., Li H., Yang G. et al. Adolescent and adult soy food intake and breast cancer risk: results from the Shangai Women's Health Study. Am J Clin Nutr, 2009, 89(6): 1920-1926. En ligne: https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2683002/

[11] Vergne S., Sauvant P., Lamothe V., Chantre P. et al. Influence of ethnic origin (Asian v. Caucasian) and background diet on the bioavailability of dietary isoflavones. Br J Nutr., 2009; 102(11): 1642-53.

[12] https://alimentation-sante.org/wp-content/uploads/2011/07/LS-IFN-143.pdf















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